Des classiques « euh », « ben », « en fait », « tu sais », « tu vois », « quoi », « voilà », « tout à fait » et « absolument », en passant par les plutôt débiles « en vrai », « en gros», « au final », « je dis ça, je dis rien» et « j’ai envie de dire », jusqu’aux interminables « du coup » (ou « pour le coup »), « de base » (ou « à la base »), « après », « c’est vrai (que) », « j’avoue » et, à la mode et omniprésents dans les échanges les plus informels et les conversations et textos des jeunes des générations Z et Alpha, aguerris et accros aux nouvelles technologies et aux réseaux sociaux, « askip » (« à ce qu’il paraît » en version SMS), « en mode » et dernièrement aussi « c’est pas » (pour remplacer le très contagieux « genre » des milléniaux), ou le fameux « wesh » d’origine arabe dans « Wesh, ça va? », « Wesh gros, bien ou quoi? » (pour saluer amicalement) ou « Wesh, t’as vu? », « Wesh, t’es au courant? (pour marquer la surprise ou simplement attirer l’attention de l’autre): n’avez-vous jamais entendu des journalistes ou animateurs télé/radio qui tiennent le micro, leurs invités à l’antenne/sur le plateau ou les personnes qu’ils interpellent dans la rue (toutes classes et générations confondues) abuser de ces « tics de langage »?
Le sort de ces tics est changeant: ils se succèdent à un rythme constant (au gré des enjeux, défis et aléas du passage entre générations) ou plus saccadé (sous l’effet immédiat de (r)évolutions sociales ou technologiques), tombent en disgrâce pour une raison quelconque puis des fois font un retour en force.
Prenez « tout à fait», très en vogue avant le tournant du siècle et qu’on a laissé un peu de côté depuis à la faveur du très fortement sollicité « absolument», qu’ont rejoint plus récemment les « carrément», « complètement », « c’est clair », « clairement » ou encore « c’est ça », qui tous servent à marquer notre accord avec ce que vient de dire notre interlocuteur.
Certains tics de langage se déclinent en une multitude de variantes les unes plus banales ou loufoques que les autres. Par exemple, si le simple « voilà » sert déjà et suffit souvent à lui seul à couper court à toute réplique postérieure (pour en rajouter encore ou égrainer les propos antérieurs), « voilà voilà », qui est de retour depuis peu, est carrément bourré d’autosatisfaction et de condescendance vis-à-vis de l’interlocuteur, quitte à le stopper net laissant entendre qu’il en a dit suffisamment et que personne n’est intéressé à en savoir davantage. Alors que c’est tout le contraire pour « voili voilà (les chachas) » et « voili voilou (les chouchous) », eux devenus définitivement ringards et sonnant on ne peut plus enfantins, nous conduisant d’ailleurs, aux dires de nos enfants, directement en enfer en cas d’utilisation devant leurs amis, au même titre que l’affreux et redouté « Coucou nous voilou! » à l’heure où on les amène ou vient chercher chez les copains.
Mais c’est sans parler de l’irritant « j’ai envie de dire », dont les variantes, tout aussi banales les unes que les autres, pullulent: « je veux dire», « on va dire », « j’allais dire », « je dirais ». Mais dites-le à la fin, bon sang, et cessez de jouer aux faux frileux faisant semblant de nous donner encore un dernier répit avant de nous lâcher le morceau! Participe du même degré de banalité le fréquent « si tu veux »: on a envie de couper court avec un cinglant « Et si je ne voulais pas, vous feriez quoi, hein?! ».
Et on ne vous apprend rien de nouveau si on vous dit que c’est d’habitude chez les autres plutôt que chez nous-mêmes qu’on détecte cette manie à répéter sans cesse certains mots ou expressions. Rien de plus agaçant que d’entendre un(e) de vos collègues consommer à haute dose et à longueur de journée des expressions comme « Arrête, je meurs », « C’est aberrant » ou « Quelle prise de tête », pas vrai?
Hoquets exaspérants ou facilitateurs d’expression?
Quoi qu’il en soit, on ne les compte plus, ces mots ou expressions qu’on fait servir à tout bout de champ et la plupart du temps inconsciemment, et donc machinalement, dans nos discours et conversations (notre parler, nos productions orales monologiques ou en interaction), très souvent en les détournant ou vidant entièrement de leur sens original ou fondamental.
On ne saurait mieux définir les tics de langage, dénominateur péjoratif de ce que les linguistes identifient comme « marqueurs discursifs », que ne l’ait fait Linda Giguère dans l’émission du 9 novembre 2023 de « L’Humeur de Linda », son billet pour le programme « 64′ » sur TV5 Monde:
Vous l’aurez compris: ces mots ou expressions réduits à de simples outils qui se glissent sournoisement (imperceptiblement) dans nos discours et conversations et qu’on ne cesse de répéter inlassablement pendant qu’on parle finissent par envahir complètement et parasiter nos prises et échanges de paroles au point d’agacer, voire carrément fâcher, notre audience ou nos interlocuteurs, comme l’a signalé Muriel Gilbert de la chaîne publique RTL dans l’émission du programme « Un bonbon sur la langue » du 14 mars 2021, réactions d’auditeurs de la chaîne dénonçant les « voilàistes », « effectivementistes », « enfaitistes » (ceux qui abusent des mots « voilà », « effectivement », « en fait ») etc. à l’appui. Nous reprenons ici celle qui dénonçait l’usage abusif de l’adverbe effectivement :
« Pourriez-vous user de votre influence […] auprès de la rédaction de RTL pour qu’elle freine l’usage de l’adverbe effectivement? Avec certains intervenants, on a dix effectivement à la minute, c’est à en avoir le tournis! »
Et pourtant, à en croire les spécialistes et les professionnels de la langue et de ses usages (art oratoire, médias, communication sur les réseaux sociaux, communication à l’entreprise, etc.), ces tics de langage ne sont pas fautifs en soi et ont même, si on observe de près leur mode d’opérer, une double utilité qui touche d’une part (1) au bon fonctionnement de l’énonciation (l’agencement, la progression, enfin, la fluidité de la ou les prises de parole), et (2) à l’interaction entre l’énonciateur et le récepteur des paroles énoncées (audience ou interlocuteur) de l’autre.
Autrement dit, la répétition de ces marqueurs de discours jusqu’à plus soif sert, en gros, comme toute forme de répétition discursive, (1) à contrôler sa propre parole et (2) à vérifier la transmission de sa parole et, dans le cas d’une conversation, en négocier le sens avec la parole de l’interlocuteur.
Ils semblent donc tout d’abord contribuer à l’amélioration de la qualité de toute prise de parole. Ils la fluidifient (et améliorent en même temps sa compréhension) dans le sens où:
- ils agissent comme des « mots-outils » qui, au lieu de rajouter du sens, à force de se répéter, viennent ponctuer la prise de parole et lui assurent (impriment) un certain rythme. Reconnaître immédiatement (à la première, sans avoir besoin de les dèchiffrer) ces « liants » de phrase ou de discours pendant la prise de parole facilite sa compréhension (la rend plus rapide et fluide);
- ils agissent comme des « mots de remplissage », « mots-béquilles » ou « mots d’appui » : ils meublent la prise de parole, on s’y appuie pour combler les vides, ces silences gênants que tout locuteur ou orateur professionnel (journaliste, animateur, acteur) craint comme son ombre et cherche donc à éviter à tout prix;
- ils agissent comme des « mots-balises » : ils pausent momentanément la prise de parole, donnant au locuteur un moment de répit, le temps de retrouver le fil ou le cap de son argumentation, de se repérer dans sa prise de parole afin d’en organiser et (ré)orienter optimalement la suite. Dans le meilleur des cas, car ils peuvent tendre un piège au locuteur qui n’y voit qu’une manière de gagner du temps et de dissimuler son embarras à engager/poursuivre sa prise de parole et ses hésitations, dévoilant à l’audience son insécurité linguistique ( sa difficulté à structurer et verbaliser ses pensées).
Mine de rien, ces automatismes langagiers font donc à la fois fonction de « mots-balises » (petites bouées auxquelles on peut se raccrocher), « bouche-trous » (masqueurs de silences et maquilleurs d’hésitations) et « facilitateurs d’expression » rendant tout plus fluide et spontané, comme l’a rappelé à très juste titre Benjamin Muller dans l’émission de « Bonjour! La matinale TF1 » du 15 mai 2024.
D’après la sémiologue Élodie Mielczareck, citée par Vincent Mongaillard dans Le Parisien du 20 avril 2018 à propos de l’utilité de ces « hoquets linguistiques », ceux-ci auraient également une fonction « phatique » (une des six fonctions que le linguiste et sémioticien russo-américain Roman Jakobson attribue au langage et qui a trait à l’interaction sociale entre locuteur et interlocuteur), notamment dans la mesure où ils permettraient de maintenir en tout moment le contact entre les deux intervenants et de vérifier (ou s’assurer) que les paroles énoncées par l’un sont bel et bien reçues par l’autre et que le message véhiculé par ces paroles est bien passé entre son émetteur et son récepteur (est bien compris par l’interlocuteur).
Mais c’est sans parler d’une autre façon que les tics de langage ont d’opérer sur l’interaction entre un locuteur (émetteur de messages) et son audience ou interlocuteur (son ou ses récepteurs) et que l’avocat et écrivain Bertrand Perier résume ainsi dans l’émission du 09 mai 2023 du programme informatif « Première Édition » sur BFMTV:
« C’est très mimétique, en réalité, le tic de langage. […] Ça signe aussi l’appartenance à un groupe social! Ça nous rassure d’employer les mêmes mots que les autres. […] Les politiques ont les leurs, l’entreprise a les siens, les jeunes ont les leurs. C’est aussi un sentiment d’appartenance. »
Les virus s’attrapent par contagion, en croisant ou en côtoyant quelqu’un déjà infecté, et les tics de langage, finalement, ne sont rien d’autre que des virus. On a de fortes chances voire la quasi-certitude de les attraper rapidement pour ne plus s’en libérer facilement en côtoyant les familles de notre milieu, nos collègues, nos copains de classe, les gens de notre génération, les voisins et autres habitants du quartier ou de la région. Ils marquent notre appartenance à un groupe social ou professionnel, à une génération, à un quartier ou à une région. Ils révèlent, et parfois servent à revendiquer, notre identité sociale, professionnelle, générationnelle et même notre identité ou origine administrative, culturelle ou territoriale.
Eh oui, chaque groupe ou génération génère, transmet et affiche ses propres tics. Prenez le monde de l’entreprise, où circulent depuis pas mal de temps (au moins depuis la crise financière de 2008) les « (y a) pas de souci » (une litote, pour laisser entendre que c’est tout le contraire!) et « ça va (pas) le faire », auxquels sont venus s’ajouter plus récemment « c’est clair » (expression joker qui, tout comme « voilà », « c’est évident » ou « point barre», ferme la porte à la discussion, signifiant à l’autre qu’on va en rester là et qu’il devra se contenter de cette réponse courte), « ça marche » ou « ça roule » (pour dire « d’accord », « c’est bon »), l’obsédant « je gère » (terme économique mais qui finit par s’appliquer à tout), la pédanterie du « c’est (tout) acquis » ou encore « on part sur ».
Passant du registre professionnel au générationnel, on peut citer, par exemple, les « tout à fait » ou « absolument » (pour approuver) et « genre» (comme dans « Il est genre vraiment surprise », « Elle me traite genre la patronne ») de la génération Y (1981-1995), celle des milléniaux, les premiers natifs du numérique. Ces tics sont devenus tellement communs entretemps qu’ils passent inaperçus ou se perçoivent déjà comme un brin désuets (si non carrément surannés).
Et actuellement, parmi les jeunes adultes (de la génération Z, nés après 1995 et hyperconnectés) et ceux d’âge moyenne (appartenant encore à la génération Y mais au contact de et langagièrement contagiés par les premiers), ce sont plutôt les « tu vois » (ou « (si) tu vois ce que je veux dire »), « t’as vu(?) », « je dirais » (et ses jumeaux « j’ai envie de dire », « j’allais dire » et « on va dire »), « disons que », « c’est-à-dire », « en fait » (que même les plus petits exploitent efficacement pour attirer notre attention), « de base » (= « d’abord », « dans un premier temps », « commencement »), « en vrai » (comme s’il planait encore l’ombre d’un doute sur ce qu’on va affirmer), « j’avoue », « c’est vrai (que) » (ce qu’on avait dit avant était faux?), « en même temps », « au final », « en gros », le carré « bref » (signifiant que ce que nous allons dire nous ennuie ou agace à l’avance), « (et) alors », « effectivement » (pour « en effet »), « de fait », « voilà (, quoi) », « ça le fait », « bien vu », « (c’est) pas faux », « vas-y » et le sempiternel « du coup » qui cartonnent.
Puis il y a, bien évidemment, comme une constante, les tics que véhicule le langage des jeunes au fil des générations. Le rapport des jeunes aux mots est physique. Ceux qu’ils utilisent à tort et à travers sont les vecteurs de leur enthousiasme juvénil et de leur désir de marquer la différence et se forger une place et une identité propres par rapport à la génération dominante. Volontairement intenses, leurs expression appréciatives et mots-béquilles bousculent les conventions du langage, en explorent puis forcent les limites, oui, en cherchent le débordement pour souligner leurs revendications identitaires.
Ainsi, les jeunes de la génération Z, appartenant définitivement au XXIe siècle et aguerris à l’usage des nouvelles technologies et des réseaux sociaux, ont développé et promeuvent les leurs: « Askip » (= « à ce qu’il paraît ») et JDCJDR (= « je dis ça, je dis rien ») par exemple, provenant de la messagerie en ligne; les intensifieurs « trop », « grave » et « juste » pour dire « très » dans des combinaisons comme « trop cool », «grave intéressant » ou «juste génial »); ou l’incontournable « en mode » et le tout récent « c’est pas », successeurs de « genre » et « style », pour dire « comme, façon, l’air de, prenant des airs de ». On voit (lire: on entend) d’ailleurs pas mal de parents d’ados adopter et saupoudrer leurs conversations de « en mode » et « juste (parfait, génial, etc.) » pour faire jeune, héhé.
Mais nous ne pourrions terminer ce tour rapide des tics de la génération Z sans mentionner l’exotique « wesh » (= « salut! », « eh! »), un prêt de l’arabe algérien qui sert à saluer, à réagir à ce qui vient de se dire (montrer sa surprise, par exemple) ou tout simplement attirer l’attention de quelqu’un. Un peu comme quand nos ados, filles commes garçons, s’appellent tous « frère » (ce calque de « brother » ou « bro », intrus qui s’est invité chez nous dans les années 1980 en provenance de la culture hip-hop américaine) et finissent par mettre du « frère » comme sauce à tout. Le meilleur, c’est qu’actuellement « wesh bro », « wesh frère » et « wesh gros » se substituent parfaitement pour dire « salut, copain! ».
Et le tic régional, direz-vous? En voici un que ne vous entendrez pas hors de la Suisse romande: «…, ou bien?» en fin de phrase, copié de l’allemand «…, oder? » et similaire en français à «…, c’est bien ça? », «…, n’est-ce pas? » ou «…, non? » quand on veut que l’interlocuteur réaffirme ce qu’ont vient d’énoncer, question d’écarter le moindre doute à propos: « Hier müssen wir links abbiegen, oder? » – « Il faut tourner à gauche ici, c’est bien ça? ».
La polémique est servie!
Vu son impact sur la communication et sur l’interaction et la revendication socioculturelle, l’usage ou non des tics de langage anime constamment le débat dans le milieu académique, dans les médias et dans la rue.
D’un côté, on a les traqueurs et censeurs jurés et aguerris des mots-béquilles. Ce sont des membres d’académie, linguistes, lexicologues, correcteurs ou autres spécialistes et professionnels de la langue qui, « en mode » chevaliers purs (lisez: ultraconservateurs, oui, fachos de la langue) du XXIe siècle à la recherche d’un français éternellement pur et non pollué par ses propres utilisateurs (graal tout aussi chimérique et inatteignable comme l’original « chrétiendetroyen »), considèrent que le français est le fruit d’une conservation rigide et non de son évolution par l’usage et que leur tâche consiste à le protéger des infections que lui infligent ses usagers, de ce cancer aux métastases multiples (oui, ce dragon venimeux aux cent têtes) nommées anglicismes, néologismes, argotismes et … tics de langage!
À l’autre extrême se situent les ardents défenseurs de ces marqueurs discursifs: des linguistes , sociolinguistes, spécialistes de l’art oratoire ou de la communication en général qui ont compris et soulignent l’importance des tics de langage comme facilitateurs de l’expression orale et code de reconnaissance et outil de revendication socioculturel, professionnel ou générationnel, et qui sont disposés à tolérer en contrepartie l’irritation que ces béquilles sont souvent susceptibles de provoquer dans l’audience ou chez l’interlocuteur.
Et au milieu, il y a ceux qui savent regarder en arrière et observent tout cela (ces charges successives, ces échauffourées entre traqueurs et défenseurs) d’un oeil amusé, considérant que l’usage de tics de langage est une phénomène qui a toujours existé et nous survivra largement, et que, loin de constituer un appauvrissement ou un fléau, c’est une preuve de plus de la capacité de la langue à conserver sa jeunesse, sa vivacité et son espièglerie à travers le temps, bref, à se regénérer, évoluer et s’enrichir continuellement.
Se posant la question « Faut-il lutter contre les tics de langage? » dans sa chronique pour le « 7/10 » sur France Inter du 10 octobre 2023, David Castello-Lopes avoue que, même si ça lui paraît excessif qu’il y ait « de plus en plus de journalistes et de chroniqueurs qui tapent sur les tics de langage et les expressions nouvelles avec une violence inouïe, tapent de toute leur force, comme si les tics de langage, c’était une sorte de grosse tumeur nazi qui menaçait leur existence », souvent le premier mouvement de son coeur est de les suivre dans leur énervement à cause de l’absurdité d’automatismes langagiers comme « n’hésite pas » dans « n’hésite pas à me contacter » ou « en vrai » dans « en vrai, je crois que j’aime bien Nagui » (présentateur vedette sur France Télévisions).
Mais il cesse assez vite de s’énerver quand il s’aperçoit des rôles divers que jouent les tics de langage (fluidifier nos conversations avec « en vrai », « genre » et similaires, ou traduire une envie d’être gentil, comme quand on souhaite une « belle journée » au lieu de l’hypocrite « bonne journée ») ou quand il est surpris par la rapidité avec laquelle ils perdent leur nouveauté et passent à intégrer ce qu’il y a de plus commun en français.
Dans son témoignage « Pourquoi a-t-on des tics de langage? » du 31 janvier 2020 sur Brut.media (aussi visible sur la chaîne YT Brut et sur France Info), la linguiste, dramaturge et maître de conférences à Paris-Sorbonne Julie Neveux souligne qu’à part de constituer un vecteur d’agrégation socioculturelle (de servir à affirmer notre identité), les tics révèlent parfois des choses à propos de notre rapport à la réalité du moment, et elle se pose la question si les Français ne sont pas trop jugeants au sujet de ces « régurgitations linguistiques » :
Au final, que faire des vides communicatifs: les masquer ou les exploiter?
En fin de compte, à quoi bon vouloir éradiquer les mots-béquilles? Non seulement cela a peu de chances d’aboutir: ils passeront toujours, comme quoi le mieux qu’on puisse faire d’entrée est de les accepter dans la mesure du possible, vivre avec et les laisser poursuivre leur petit bout de chemin jusqu’à ce que d’autres viennent les remplacer. Mais bannir toutes et chacune de ces béquilles langagières de notre parler nous priverait surtout d’un outil précieux pour mieux nous (faire) entendre à l’oral ou signifier langagièrement notre adhérence ou appartenance à un groupe social ou professionnel, à une génération ou à une région, c’est clair.
Bon, d’accord, il reste vrai que ces mots ou expressions récurrents arrivent des fois à nous hérisser le poil à chaque fois qu’ils sont énoncés. À nous échauffer les oreilles puis le sang! Alors, si l’on veut qu’ils cessent de nous exaspérer de la sorte, on devrait peut-être suggérer de les utiliser en alternance avec des variantes. Tenez, pour « effectivement » ça donnerait « absolument » , « tout à fait » ou simplement « oui » !
Ou mieux encore: question de ne pas trop alourdir nos prises de paroles par tant de locutions et mots alternatifs qui sont justement supposés remplacer ces « mots de remplissage » lourdingues, on pourrait tout simplement envisager d’introduire délibérément des silences. Oui, oser laisser des vides communicatifs sans combler… pour mieux communiquer! Car oui, marquer de courtes pauses après des points clés, avant de dévoiler une issue ou réponse ou avant de conclure peut avoir l’avantage de:
- nous procurer des moments pour respirer mentalement, reprendre nos esprits et laisser que notre cerveau récapitule, corrige au besoin et structure sa pensée en fonction de ce qui va suivre;
- obtenir par moments un effet oratoire voulu par un silence bien placé et dosé: donner du poids à nos dernièrer paroles de manière à ce qu’elles résonnent plus longtemps chez l’audience, créér de l’expectation, laisser planer légèrement le doute avant de livrer le dénouement d’une anecdote racontée ou de donner la clé d’une énigme exposée, réserver une surprise, etc.;
- laisser à notre audience ou interlocuteur le temps de réfléchir à ce qu’on vient de dire et d’assimiler (absorber) l’information et, ainsi, améliorer sa compréhension globale de notre prise de parole.
Au final, ne vaut-il pas mieux couper court aux tics de langage aussitôt qu’ils pointent la tête? Je dis ça je dis rien, enfin. On peut tout à fait se mettre en mode avion quand on vous balance aux oreilles son lot de mots-béquilles, pas vrai? Et peut-être que c’est juste grave génial d’en disposer et de pouvoir en caser un chaque fois qu’on veuille mettre de l’entrain, de l’intensité quoi. Non, en vrai, vous en feriez quoi, vous, du coup?